J’écris pour toi, lycéen qui reste devant les grilles de ton lycée dans le froid, pour protester,
J’écris pour toi, qui franchis ces grilles pour continuer à aller en cours,
J’écris pour toi, gilet jaune qui quitte ton rond-point le cœur serré,
J’écris pour toi, qui veut aller au travail tranquillement,
J’écris pour toi, policier, qui te mets en grève à ton tour, de fatigue,
J’écris pour nous, qui sortons d’un mois d’épreuves qui nous ont divisés et unis.

Je ne cherche pas à nous réconcilier. Je cherche ce que nous avons en commun.

Nous nous sentons tellement inégaux, tellement clivés, comme un territoire qui n’en finit pas de se plisser,
Nous avons tellement tendance à nous juger, selon des catégories qui nous enferment, qui nous font nous
sentir inférieurs et supérieurs à la fois, selon un critère ou un autre : hommes/femmes, riches/pauvres,
citadins/ruraux, élites/peuple, travailleurs/chômeurs, jeunes/vieux, de gauche/de droite, Français/immigrés,
croyants/athés, profs/élèves, experts/ignorants, politiques/citoyens...

Pourquoi certaines différences deviennent-elles des inégalités, douloureuses, et qui s’aggravent ?
Peut-être parce que nous nous mettons à croire en elles et à les justifier,
Peut-être n’y a-t-il d’inégalités que par notre consentement, qu’il soit intéressé, fasciné ou résigné.

Notre société est terriblement inégalitaire.
Or sans justice sociale nous sommes dans la survie, dans l’humiliation, dans l’égoïsme.
Sans justice fiscale le contrat social n’est qu’une tromperie.
Mais qu’est-ce que la justice ?

La justice affirme l’égalité profonde entre chaque homme.
En cela elle n’est pas seulement à recevoir ni même à exiger : elle est à faire.
Elle n’est ni un idéal ni une institution : elle est l’effort de chacun.
Ce sont des femmes, des hommes qui cherchent à penser avec justesse, à agir avec justice.
Ceux-là ne sont pas dans la survie, ils ne cherchent pas d’abord à vivre mieux, mais à vivre meilleurs.

Quand ce jour arrive,
Ce jour où l’on se rend compte que la justice est l’affaire de tous, qu’elle est en chacun de nous,
Ce jour où l’on comprend que ce qui nous distingue ne devrait pas nous hiérarchiser,
Quand nous comprenons que nous nous mentons à nous-mêmes en feignant de croire aux fables qui nous
gouvernent :
la fable des hiérarchies sociales fondées sur le mérite,
la fable d’un ordre social incontestable car seul rempart contre le chaos,
la fable terriblement réelle de l’argent roi, qui nous dévore et dévore le monde...

Alors ce jour nous comprenons que nous sommes frères de lutte et de destin,
dans la société comme sur la planète,
Nous comprenons que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous oppose,
Nous comprenons que combattre l’injustice, ce n’est pas opposer les bons et les méchants,
mais reconnaître l’égalité profonde qui nous lie et qui nous engage chacun à l’effort d’être libre,
de la seule liberté qui soit : singulière et solidaire.

Merci à ceux qui luttent, pour une société plus juste,
Merci à ceux qui ont lutté, à leur exemple nous trouvons la force de croire en nous-mêmes,
Merci à ceux qui lutteront, pour ce que nous avons de propre et de commun.
Merci à ceux qui sont arrivés jusqu’ici, et qui peuvent aller bien plus loin.

Un enseignant en lutte.
Toucy, le 20 décembre 2018